La meute

Otchum et ses descendants

Des kilomètres en traîneau dans le Nord, j’en ai fait !
Avec des chevaux, des poneys, des rennes…
C’est avec mes chiens que j’ai partagé les moments les plus forts !

La première fois, c’était il y a plus de trente ans, j’avais réussi à intégrer une expédition franco-canadienne pour la traversée de la péninsule du Québec-Labrador : une révélation.

Puis, j’ai monté mes propres expéditions et proposé à des mushers français de me rejoindre lors des étapes « hiver » avec leurs chiens. J’apprenais de leur expérience et eux réalisaient leur rêve… clé en main. Jusqu’au jour où sur les rives du lac Baïkal, un trappeur sibérien m’a offert un chien : Otchum, avec qui j’ai traversé toute la Sibérie. Vif, intelligent, s’adaptant à toutes les situations, ce chien surdoué est rentré en France avec moi. Il s’est « marié » avec une belle chienne qui venait du Groenland, Ska.

Avec Otchum, Ska et leurs enfants, nous avons réalisé bien d’autres traversées en Laponie, en Alaska et un peu partout dans le monde où il y a de la neige.

Puis cette meute a vieilli et j’ai croisé les meilleurs d’entre eux avec deux alaskans, ces chiens de course que l’on voit sur la Yukon Quest ou l’Iditarod, l’idée étant de « récupérer » un peu de vitesse tout en espérant ne pas perdre en rusticité et en endurance.

C’est ce que j’ai obtenu : un attelage exceptionnel avec lequel j’ai fait la Quest 300, puis la Yukon Quest que j’ai dû abandonner, faute de leader, alors que j’étais dans le peloton de tête. C’est avec cet attelage que j’ai ensuite traversé la Sibérie, du lac Baïkal jusqu’à Moscou : près de 9 000 kilomètres dans l’hiver…

Aujourd’hui, ces chiens sont vieux, beaucoup ont disparu et ceux qui restent sont à la retraite. Voilà 4 ans, j’ai commencé la quatrième génération, avec des champions issus de croisements mûrement réfléchis.
Dans ces portées, j’ai choisi les meilleurs pour mon Odyssée Sauvage et la traversée de la Chine, la Russie et la Mongolie, puis pour prendre le départ de la Yukon Quest en février 2015.

Aujourd’hui encore, quand je retrouve chez ses descendants, une ressemblance, un trait de caractère, une mimique, j’ai toujours une pensée émue à son souvenir…

L’entraînement des chiens

Je partage avec mes chiens une passion commune : courir et voyager à travers les immensités blanches. C’est de ce partage que naît l’incroyable complicité qui nous permet de réaliser des exploits inouïs !

Je compare souvent ma meute à une équipe de footballeurs. J’observe, entraîne, teste en individuel et en binômes, puis sélectionne mes avants-centres, mes ailiers, mes arrières. Je connais tous mes joueurs jusqu’au bout des griffes et place sur la ligne de départ la meilleure équipe possible : celle qui m’emmènera jusqu’à l’arrivée !

Lors des entraînements, certaines règles sont immuables :
• Entretenir le « will to go », le plaisir qu’ont les chiens de courir. C’est LE carburant de n’importe quelle course en traîneau. Il ne faut jamais le perdre et anticiper toute baisse de motivation.
• Lors des premières sorties des jeunes chiens : laisser faire… Il faut qu’ils s’amusent et qu’ils en redemandent ! Les chiens les plus expérimentés se chargent généralement d’apprendre le métier aux plus jeunes.

• Entretenir une ambiance joyeuse au sein de la meute, partager des moments privilégiés avec chacun des chiens mais aussi savoir tempérer sans intervenir systématiquement dans les relations de meute.
• Leur faire confiance, être à l’écoute mais rester le patron. Comme avec les enfants, poser des limites rassure et guide les chiens.

Le placement dans l’attelage

Les chiens de tête, Burka, Quest et Miwok, placés en tête de l’attelage, obéissent aux ordres que je leur adresse. Des directives simples : gauche, droit, arrêt ; et d’autres plus délicates comme le demi-tour qui reste une figure de style difficile à effectuer sans pagaille généralisée. Des qualités particulières d’écoute, d’obéissance, de réactivité et d’intelligence sont indispensables à ce poste.

Pour apprendre le métier, les chiens placés juste à la suite des « lead dogs » viennent parfois relayer sur de longues distances les chefs d’attelage pour les soulager de cette épuisante tâche tant physique que mentale. Juste derrière, quatre à six chiens, impriment le rythme. Ce sont les « team dogs ». Organisés par paire, ils doivent bien s’entendre, certains binômes fonctionnent…ou pas ! Ces coureurs de fond ont une foulée ample et régulière. Leur vitesse moyenne donne le tempo : une allure de croisière soutenue mais soutenable pour tous.

Enfin, les chiens les plus puissants, Dark et Wolf, les “wheel dogs” sont placés juste devant le traîneau. Ils “décollent” la charge et c’est bien souvent leur coup de rein salvateur qui arrache le traîneau lors de passages dangereux.

La vie de la meute

Combien de fois me suis-je vu proposer de recueillir des chiens de race nordique ?
Achetés pour leurs beaux yeux, ils deviennent, en grandissant, encombrants, ingérables et potentiellement effrayants pour des enfants…

Non, les chiens de traîneau ne sont pas des chiens de compagnie. Bien sûr, je les éduque, leur prodigue les soins dont ils ont besoin, les aime et les fais travailler mais ils sont et restent avant tout des chiens de meute. Et comme leurs ancêtres les loups, une hiérarchie s’établit naturellement au sein du groupe ! Dans cette meute, il y a toujours un mâle dominant et les autres chiens se soumettent à son autorité : c’est lui le chef – du moins jusqu’à ce qu’un autre mâle ne vienne contester cette supériorité.

C’est en effet une place très convoitée par les jeunes aux dents longues ! J’ai tout de même mon mot à dire dans la gestion des conflits : je veille à ne pas susciter de jalousie entre les chiens, je laisse faire quand une raclée est méritée mais j’interviens quand cela peut dégénérer en bagarre généralisée avec pour conséquence, des blessures qui peuvent être fatales… La place de chef de meute n’est pas uniquement liée à la puissance physique du chien. Bien sûr, ce ne sera pas la demi-portion timide qui prétendra renverser le chef.

Mais certains chiens, étonnamment puissants et intimidants, ne manifestent pas l’envie particulière de grimper les échelons dans la hiérarchie. D’autres en revanche, plus petits, plus nerveux font beaucoup de bruit et tentent de s’imposer à tout prix ! Le caractère dominant de certains se remarque d’ailleurs dès leur plus jeune âge et il est assez prévisible de savoir comment chacun va s’intégrer dans la meute.

Le chien de tête

Placé en tête de l’attelage, le chien de tête est celui qui obéit au conducteur du traîneau : le musher.
A ne pas confondre avec le chef de meute qui occupe hiérarchiquement et socialement le haut de l’affiche au sein du groupe !

Il arrive exceptionnellement qu’un même chien remplisse les deux fonctions mais le cumul des mandats est finalement assez lourd à porter pour un même chien. Trop autoritaire, trop proche de l’homme, trop intelligent, il dérange un peu les autres. Cela se solde parfois par une mutinerie du reste de la meute. Ce fut le cas de mon premier chien Otchum dont le sort fut tragique…

Dans la vie d’un musher, on connaît de bons, de très bons et parfois d’excellents chiens de tête. Un chien de tête n’a nullement besoin de s’imposer physiquement, c’est son obéissance mais aussi sa finesse d’analyse et sa réactivité qui importent. Ce sont souvent des femelles, très attentives, qui remplissent ce rôle. Les excellents chiens de têtes sont ceux à qui on n’a même plus besoin de parler : un regard appuyé ou un geste suffit.

Il est indispensable d’entraîner plusieurs chiens à ce poste pour pouvoir les relayer en cas d’effort prolongé sur de longues distances ou de blessure. Avec mes chiens de tête, Burka et Miwook et plusieurs suppléants en pleine progression, je suis confiant !

Les jeunes de la meute

Très tôt, dans une même portée, frères et sœurs révèlent leurs différences et leur personnalité à travers leurs comportements : la tétée, le jeu, les sorties en forêt. Très dégourdis, certains partent vite à l’aventure, recherchent le contact de l’homme et s’amusent de tout. D’autres, plus prudents, moins spontanés, prennent moins d’initiative mais peuvent être plus appliqués et obéissants quand ils sont en confiance.

Puis les jeunes chiens vont rejoindre le parc de leurs aînés : ils apprennent immédiatement les rudiments de la vie en groupe. Les premiers instants sont intimidants voire difficiles pour ces jeunes mais indispensables à leur apprentissage. Le sentiment d’appartenance à la meute est un élément capital pour l’équilibre des chiens.
Pendant les tout premiers entraînements, d’une heure environ, je leur apprends à courir droit et à la même allure. Ce sont leurs aînés qui, dans des attelages réduits (quatre chiens), déclencheront par émulation l’envie de tirer.

Après quelques centaines de kilomètres, les rudiments sont acquis. Puis au sein d’attelages de 8 chiens et plus, en kart ou en traîneau l’hiver, les chiens apprennent à gérer leur effort et leur allure. Quand ils affichent une bonne condition physique, j’imagine les combinaisons possibles pour former le meilleur attelage en fonction des comportements et des personnalités de chacun. Car au-delà des capacités physiques, l’attelage doit être homogène, avec à sa tête un chien expérimenté, mais surtout et toujours, animé d’une même passion de courir.

Les alaskans, une race à part

Mon premier chien de traîneau, Otchum, était un chien… de chasse. En Sibérie, les trappeurs traquent avec eux l’ours et la zibeline. Capable de suivre longtemps la piste d’un animal dans la neige, le « laïka » est un chien très endurant. Il ressemble à un husky puissant mais plus léger et plus rapide que les traditionnelles races de chiens nordiques : malamutes et groenlandais.

L’alaskan n’est pas une vraie race, c’est le nom donné à un croisement mêlant différentes origines, sans réel pedigree. Des chiens de compétition devenus des « Formule 1 » qui gagnent les plus grandes courses de traîneaux. Incontestablement les plus rapides, ils sont aussi devenus plus fragiles.

Mes premiers chiens, les portées d’Otchum et de Ska, étaient puissants et endurants, parfaitement adaptés à mes expéditions d’alors : longues, dans des conditions extrêmes et avec un traîneau lourdement chargé. Au fil des portées, un apport modéré de sang alaskan a allégé le modèle et apporté de la vitesse tout en préservant la corpulence du chien nordique. Aujourd’hui, mes chiens ont la vitesse, l’endurance et la résistance pour performer sur une longue distance : de vrais champions !

Les p’tits chiens sont chouchoutés

« Pour voyager loin, il faut ménager sa monture ».

Les problèmes posés par l’alimentation des chiens se résument en un mot : le poids. En moyenne chaque chien dépense quotidiennement 10 000 calories pendant l’expédition. Cela signifie des portions d’environ 5 kilos de viande par chien par jour ! Il est inconcevable de transporter de telles quantités sur mon traîneau et de telles rations seraient beaucoup trop lourdes à digérer quotidiennement, surtout avec une activité physique intense ! L’alimentation de base se compose donc d’une portion très enrichie de croquettes mises au point par des spécialistes. A cela s’ajoutent les barres énergétiques que je leur distribue toutes les deux heures environ. Du poisson et de la viande fraîche offerts par les habitants dans les villages remontent le moral des troupes !

L’hydratation est également vitale ! Pour 10 chiens, c’est minimum 10 litres d’eau par 24h, d’où l’importance de trouver des points d’eau ouverts pour m’éviter de passer des heures à faire fondre de la glace ou de la neige.

Les soins des pattes requièrent plusieurs manipulations quotidiennes pour passer en revue les tendons et les coussinets. Pour éviter les échauffements, je leur mets des bottines. A la naissance de mes chiots, on a pratiqué l’ablation d’un petit ergot. Situé à la pliure de la patte, le frottement avec l’attache de la bottine risquant à la longue de les faire souffrir.

Si l’étape a été longue ou difficile, je masse leurs muscles et vérifie leurs articulations. Comme les athlètes humains, ils apprécient ce moment de détente. Mais grâce à l’entraînement, adapté et progressif, mes chiens avalent les kilomètres avec plaisir sans incident de santé majeur.

Le repos doit être suffisant et de qualité. S’il peut sembler dur que je laisse les chiens attachés, c’est pourtant le meilleur moyen de leur octroyer un espace vital où ils peuvent pleinement se reposer. Sans compter qu’après une centaine de km dans les pattes, ils n’en demandent pas davantage et mieux vaut éviter chamailleries et chapardages de nourriture !

Parler aux chiens

Un bon chien de tête peut reconnaître une cinquantaine de mots, correspondant chacun à une directive ou une situation. J’utilise, comme tous les mushers, un vocabulaire dont les sons sont facilement identifiables pour les chiens. Par exemple le « au de » gauche » et le « oi » de droite ne sont pas assez éloignés phonétiquement. Ils deviennent ainsi « djee » pour droite et « yap » pour gauche. L’intonation joue aussi beaucoup : le « non » est indissociable d’une injonction sèche et signifie l’interdiction, le « oui » caressant est un encouragement à aller de l’avant, un « allez les chiens ! » sur un mode enlevé donne le départ et les encouragements collectifs sont enjoués.

Connaître les ordres et la technique ne suffit pas. La personnalité du musher et la complicité qui le lie à ses chiens comptent davantage. Il faut un minimum de confiance en soi et une sorte d’autorité naturelle. C’est comme dans une classe, il y a des profs qu’on ne peut s’empêcher de chahuter même si ce sont de bons enseignants !

Surtout, je n’assomme pas mes chiens de directives ! Je les laisse avancer et eux aussi aiment se concentrer sur la piste, leur environnement et les kilomètres à avaler. Ils sont alors bien plus réactifs à mes ordres que si je les berçais d’un gentil « bla-bla » continuel. Cela ne m’empêche pas de leur parler quand je m’occupe à l’arrêt de chacun d’eux…

L'affaire des chiens

Nicolas a souhaité revenir sur « l’affaire des chiens du Camp », dont vous avez sans doute entendu parler. Grâce notamment au témoignage du vétérinaire qui a suivi les chiens du Camp pendant 5 ans, la vérité est rétablie sur cette regrettable affaire calomnieuse dont Nicolas a été victime sur les réseaux sociaux et dans quelques médias peu scrupuleux.

Lire la lettre de Nicolas