Vous avez 1000 questions à poser à Nicolas sur ses expéditions, ses courses, ses films…
nous avons sélectionné celles qui revenaient le plus souvent. Bonne lecture !
Nicolas, son parcours
Je ne sais pas.
Elle a toujours été en moi. Enfant déjà, face à une carte du monde, c’est en haut que je regardais. Plus tard, lorsque j’ai commencé à savoir lire, je ne dévorais que du Jack London, du James Fenimore Cooper, du Paul-Émile Victor, les récits de Sir Ernest Shackleton et d’autres explorateurs du siècle dernier. Le cinéma ? J’ai revu dix fois Jeremiah Johnson, Dersou Ouzala.
Je ne rêvais que de Grand Nord. Rien n’explique cette passion. Pas d’antécédent familial. Aucun événement particulier. Une évidence. Une attirance. Depuis toujours.
Enfant et adolescent, cette passion dévorante était une souffrance car je n’imaginais pas une seule seconde que tous ces rêves qui m’étouffaient puissent un jour se réaliser. Dans mon entourage, personne ne partageait cette passion. Je n’en parlais pas ou si peu. J’essayais de m’en échapper, de m’en libérer mais c’était plus fort que moi. Je m’imaginais derrière des chiens, en train de conduire un traîneau en Alaska, en Laponie ou à travers le Canada. Je me voyais en Sibérie avec les éleveurs de rennes. J’entendais les loups hurler. Je me croyais un peu fou avec ces rêves tellement en décalage, comparés à ceux de mes copains d’enfance.
Adolescent, je me suis imaginé une vie durant laquelle je travaillerais dix mois sur douze pour assurer le minimum et mettre de côté de quoi m’échapper deux mois par an vers le Nord. Dix mois de frustration pour deux mois de plaisir.
Et puis un beau jour, à l’âge de 17 ans, après bien des randonnées sous forme d’apprentissage dans les Alpes ou les Pyrénées, je suis monté dans un train à Gare du Nord. Je n’en suis descendu qu’à la dernière gare, au-delà du cercle polaire arctique : Kiruna. Le voyage ne coûtait presque rien à l’époque : 200 francs pour un pass valable deux mois, partout en Europe.
À Kiruna, sac au dos, je suis parti à la rencontre du Grand Nord et des éleveurs de rennes de Laponie. Dès le premier regard, je suis tombé amoureux de ces pays d’en haut qui m’avaient tant fait rêver enfant. Finis les rêves, je voulais désormais les réaliser.
L’été suivant, en travaillant comme docker occasionnel au Havre, j’ai pu me payer mon premier billet d’avion pour le Canada. Les Indiens montagnais m’ont construit un canoë avec lequel j’ai traversé, en compagnie de trois copains, la péninsule du Nouveau-Québec Labrador. J’ai réalisé là ce qu’on pourrait appeler mon premier reportage photographique et mon premier film, avec la caméra super 8 de mon père et un appareil photo amateur de piètre qualité.
Au retour, un ami d’ami de mes parents me contacte. Il a entendu parler de mon voyage et la ville de Versailles organise un festival de films d’aventure avec un prix « amateur ». Après avoir vu mes images, l’organisateur m’a proposé de monter un petit film pour participer au festival. À ma grande surprise, je gagne le prix. Un extrait de trente secondes passe à la télévision et un magazine d’aventure de faible tirage me propose de m’acheter, pour quelques centaines de francs, un reportage illustré de mes photos qu’il trouve « intéressantes ».
C’est le déclic. Il est peut-être possible de vivre, ou du moins de survivre, avec le récit de ma passion et des grands voyages ?
Dès lors, je vais consacrer toute mon énergie, mon opiniâtreté à réaliser ce rêve. À l’époque, toutes les portes étaient fermées. Pas un seul éditeur n’acceptait de me recevoir, pas un magazine ne m’accordait le moindre intérêt. J’écrivais des centaines de lettres à des sponsors potentiels. Les rares réponses étaient du type : « Nous avons bien reçu votre courrier. Malheureusement, … »
Bref, je ramais. Je ramais vraiment.
A l’époque, j’aurais pris pour un fou l’ami qui m’aurait prédit qu’un jour toutes les maisons d’édition m’ouvriraient leur porte, et que les magazines et télévisions du monde entier diffuseraient mes reportages.
Mes rêves étaient plus modestes. Je ne voulais que partir, repartir, toujours, encore. Cahin-caha, je trouvais ici et là quelques sous pour financer mes voyages. J’empruntais. Je vivais petitement, de rien. Peu importe, je réussissais à aller en haut.
Puis de voyage en voyage, j’ai appris sur le terrain : la photo, les films. J’ai commencé à écrire quelques reportages, un premier livre que personne n’a lu, mais qui avait le mérite d’exister. Je m’en suis servi pour avancer. La vie en Nord pouvait continuer !
Il y en a beaucoup.
Shackleton est un personnage extraordinaire. Je relis souvent ses récits d’explorations. Il n’avait pas tous les moyens que l’on a aujourd’hui, c’est extraordinaire. On a la radio, le GPS et quand on relit La Ruée vers l’or de Jack London ou d’autres livres de Franklin, de Scott, de Shackleton, tous ces récits remettent à sa juste place ce que l’on vit soi-même.
J’adore aussi – et c’est l’objet de mon roman L’Or sous la neige – cette nostalgie, cette époque de la ruée vers l’or. Ça a bercé mon enfance. Et lorsque je me suis retrouvé dans les paysages que Jack London décrivait, à la conduite de mes propres chiens, c’était assez émouvant.
J’ai fait de mes rêves et de ma vie mon parcours professionnel. Aussi loin que remontent mes souvenirs de gamin, j’ai toujours été dans l’attente de pouvoir partir, toujours pensé ma vie d’adulte comme une succession de voyages dans le Grand Nord. De fait, je n’ai pas l’impression de mener plusieurs vies à la fois puisque mon équilibre se trouve depuis toujours entre ces départs et ces retours en France. Finalement, c’est en partageant mon expérience et en témoignant à travers les récits et les images que lentement la transition se fait : le voyage perdure, le temps de reprendre pied dans le quotidien et j’ai appris, au fil des années, à passer d’une vie à l’autre sans trop de heurt.
J’ai rarement été seul finalement. Dans mes très longues expéditions, 18 mois et plus, qui sont aussi les plus éloignées dans le temps, je m’entourais de personnes ayant aussi le goût de ces voyages et à qui surtout j’avais envie de faire découvrir ce qui me faisait tant vibrer. J’aime avant tout partager et pouvoir échanger avec d’autres ce sentiment de liberté et de plénitude que m’apportent ces longues traversées. Lors de mes dernières expéditions et courses, la solitude ne me pèse nullement car mes chiens sont des vrais compagnons de voyage. Et devant moi, l’équipe chargée de repérer et de tracer mon itinéraire me rejoint dans les villages qui jalonnent la piste, je les retrouve environ une fois par semaine. Cela n’empêche pas mon besoin d’être seul aussi parfois pour apprécier le silence, m’imprégner des ambiances et surtout prendre le temps.
Le froid est supportable pour les hommes comme pour les chiens tant que le vent n’accentue pas le phénomène. Dans ce cas-là, on n’a pas d’autre choix que d’attendre que ça passe !
Dormir dehors, c’est ce que font tous les animaux du Grand Nord et les chiens sont aussi bien pourvus que les loups ! Quant à moi, je suis aussi parfaitement équipé, mais il reste que la respiration, transformée immédiatement en givre et en glace, gêne beaucoup et que l’on est réveillé toutes les demi-heures environ. C’est une question d’habitude.
Le danger, on l’imagine partout dans le Grand Nord. Un milieu jugé hostile par beaucoup, où l’homme n’est qu’en survie permanente, luttant continuellement contre les éléments : le froid, la glace instable, les animaux sauvages, les tempêtes. Pourtant, la réalité est toute autre. Même s’il faut parfois pour se déplacer, traverser un blizzard, trouver sa nourriture ou tout simplement surmonter sa lassitude de l’isolement et des privations.
En termes d’Odyssée, je crois que j’ai fait le tour de la question et des continents du Grand Nord. J’ai d’autres projets avec mes chiens mais ils se portent davantage sur des grandes courses dans lesquelles j’aimerais avoir l’occasion de les mesurer avec les meilleurs attelages avant que je ne sois définitivement trop rouillé. Cet attelage formidable est encore très jeune et me laisse quelques années de répit avant de raccrocher définitivement les raquettes.
Non pas de vocation avérée pour le moment ! Ils adorent tous venir faire du traîneau avec moi, voyager, mais aucun ne m’a déclaré solennellement vouloir faire la même chose et je ne les pousse pas du tout ! J’ai envie qu’ils réalisent leurs rêves à eux. Leur donner un cadre de vie épanouissant afin qu’ils trouvent leur voie est mon seul objectif. Il n’y a rien de pire que de vivre « à la suite de ».
Je voyage depuis plus de trente ans dans ce que j’appelle poétiquement « les pays d’en haut ». Citons ma longue traversée des Montagnes Rocheuses et de l’Alaska en 86, mes traversées de la Sibérie pendant 18 mois, depuis la Mongolie jusqu’à l’océan Arctique en 90, l’année passée en compagnie de ma femme et de ma petite fille d’un an et demi dans le Yukon en 95, ou encore ma belle traversée, en moins de 100 jours et avec mes chiens de traîneau, du Grand Nord canadien depuis le Pacifique jusqu’à l’Atlantique, puis celle de la Sibérie jusqu’à la Place Rouge. J’ai écrit plus de 40 livres et réalisé de nombreux films pour la télévision et le cinéma, ainsi que de nombreux reportages diffusés dans le monde entier et qui montrent tous la pureté et la beauté de ces grands espaces sauvages. Mais depuis quelques années, comme les peuples du Nord que je connais bien, je constate ici et là, mais de façon de plus en plus visible, les multiples dégradations que l’homme fait subir à ce que les Indiens appellent, notre mère à tous : la Nature. Le réchauffement de la planète, pour ne citer que lui, modifie le climat et fragilise les écosystèmes du Grand Nord qui n’ont pas le temps de s’adapter à ces bouleversements trop rapides et partout s’allument des signaux de détresse.
Aujourd’hui, je veux en quelque sorte rendre à la nature tout ce qu’elle m’a donné. C’est à cela que mes rêves de films, de voyages, de livres sont désormais consacrés.
J’ai participé à plusieurs reprises à des groupes de réflexion suite à la demande de politiques concernant des sujets précis liés à l’environnement mais je ne me sens pas la carrure d’un homme politique. Être utile en apportant des compétences, des témoignages ou une expérience, oui mais pas dans une famille politique. Pour moi, l’Écologie ne devrait pas être un parti mais s’articuler comme un style de vie et une évidence à tous les niveaux et dans tous les partis.
Est-ce que vous restez en contact avec les personnes que vous rencontrez au cours de vos aventures ?
Bien sûr, j’ai connu des personnes qui me sont très chères : trois me viennent tout de suite à l’esprit : Frank Turner, un grand musher canadien qui m’a encouragé et pris «sous son aile » chez lui pour que je participe à la Yukon Quest, la plus grande course de chiens de traîneaux, qu’il a lui-même courue plusieurs fois et gagnée aussi. Nicolaï, chef d’un clan évène et éleveur de renne, qui malheureusement est mort depuis mais avec qui j’ai vécu tout un été, parmi les siens, et observé la grande migration des rennes. Norman, ce « dernier trappeur » sur qui j’ai réalisé mon premier grand succès au cinéma et qui est un « vrai personnage ». Bien d’autres ont marqué mes voyages !
les chiens
Mes chiens, arrières (et arrières-arrières) petits-enfants d’Otchum, sont en pleine forme et s’entraînent chez mon ami Tony au Québec, où je vais les voir régulièrement. Burka et Miwook, mes incroyables chiens de tête ont eu 9 petits chiots au printemps : des graines de champions. Mon projet : aligner le meilleur attelage pour l’Iditarod en 2017 !
Certains d’entre vous rêvent de voir mes chiens : Tony sera ravi de vous accueillir pour un séjour d’aventure dans le grand nord canadien (lien vers partir vous aussi). Après une journée d’initiation, vous pourrez partir pour un raid de plusieurs jours qui vous fera découvrir les paysages somptueux de lacs, de rivières et de forêts de cette région sauvage. Les attelages sont constitués de la lignée de mes chiens : les fils et filles de Burka, de Miwook et de Quest.
Je ne peux pas parler de meilleure meute par rapport à une autre : il y a d’excellents chiens et des moins bons dans chaque portée. La descendance d’Otchum, puisque tous les chiens ont un lien plus ou moins éloigné avec, ne lui ressemble pas en tous points. Du sang alaskan est venu affiner l’aspect nordique et un peu lourd de mes premiers chiens. Je suis aujourd’hui parvenu à créer une meute qui est, je pense, unique et très performante. Un équilibre parfait entre résistance du chien nordique et rapidité de l’Alaskan, modèle plus léger et plus « maniable » tant physiquement que caractériellement !!
Les chiens peuvent, quand les conditions de progression idéales sont réunies (froid mais pas trop, surface dure et plane, pas de vent et une condition physique au top), couvrir des distances de 150 kilomètres par tranche de 24 heures. Mais la moyenne se situe en général en expédition autour de 100 kilomètres par jour. Ils sont vraiment rapides et tiennent une vitesse moyenne de 16 km/h au trot plusieurs heures durant.
Non, les chiens ne s’ennuient pas ! Ils ne ressentent pas comme nous l’appréhension de l’ennui ou la peur du retour. Ils vivent le moment présent, leur prêter des sentiments comme la nostalgie du voyage s’apparenterait à de l’anthropomorphisme. Ils sont bien moins compliqués dans leur tête que nous !
Disons que le risque majeur venait plus des mauvaises conditions de progression que de leur condition à eux. Le peu de neige et la fragilité de la glace par endroits pouvaient rendre des passages particulièrement dangereux, voire carrément périlleux dans certaines zones !
Les chiens connaissent la peur, c’est même salvateur puisque cela déclenche l’instinct de survie et permet parfois de sauver la vie du musher et de son attelage. L’exemple le plus typique reste celui où la glace cède sous les patins et que les chiens, galvanisés par une poussée d’adrénaline, donnent tout ce qu’ils ont dans les tripes (et Dieu sait si leurs forces sont décuplées dans ces cas extrêmes !) pour sortir le traîneau et l’empêcher d’être emporté sous la glace par le courant ou de sombrer au fond du fleuve. Donc oui la peur est nécessaire, la prudence est aussi quelque chose qu’ils appliquent dans des situations inconnues ou délicates. Mais l’appréhension du danger, un sentiment humain, est chez eux beaucoup plus aléatoire.
« Pour voyager loin, il faut ménager sa monture ». Quand on part pour 6000 km avec un attelage de dix chiens, il faut correctement nourrir, hydrater et prévenir le moindre bobo. Les soins des pattes requièrent plusieurs manipulations quotidiennes pour passer en revue les tendons et les coussinets. Pour éviter les échauffements, je leur mets des bottines. Si l’étape a été longue ou difficile, je masse leurs muscles et vérifie leurs articulations. Mais grâce à l’entraînement, adapté et progressif, mes chiens ont avalé les kilomètres avec plaisir sans incident de santé majeur. Si un chien est blessé ou malade, soit il est assez vaillant et se contente de suivre à côté de moi sans être attelé, soit je le cale devant moi sur le traîneau. Mais généralement, les chiens n’aiment pas trop être sur le traîneau et préfèrent, même blessés, réintégrer leur place dans l’attelage. J’’ai parfois dû batailler pour empêcher un chien mis au repos de sauter du traîneau où il était pourtant bien installé !
Les chiens se battent pour prendre la place de chef de meute, celle que le chien dominant occupe au sein du groupe. De la même manière qu’il y a un mâle dominant dans une meute de loups. L’homme n’intervient pas dans la hiérarchie entre les chiens hors travail, sauf si vraiment la vie d’un chien est menacée bien sûr ! En revanche, la tête de l’attelage est occupée par un chien qui a des compétences particulières pour mener les autres chiens lorsqu’ils sont attelés. Là, c’est l’homme qui sélectionne le chien le plus apte à tenir cette place et les autres ne contestent pas ce rang puisque c’est l’homme qui attribue une place à chaque chien, en tenant compte des affinités entre les individus et de leurs compétences à chacun.
Votre rêve peut se réaliser, mes chiens étant au Québec, chez mon ami Tony, qui sera ravi de vous accueillir pour un séjour d’aventure dans le grand nord canadien. Après une journée d’initiation, vous pourrez partir pour un raid de plusieurs jours qui vous fera découvrir les paysages somptueux de lacs, de rivières et de forêts de cette région sauvage. Les attelages sont constitués de la lignée de mes chiens : les fils et filles de Burka, de Miwook et de Quest, les héros de l’Odyssée Sauvage et la Yukon Quest.
Sensations fortes assurées !
Les films de fiction de Nicolas
Un blizzard terrible soufflait sur les hauteurs des montagnes Rocheuses que je traversais alors avec mes chiens. Depuis plus de 20 ans, personne n’était passé par là et les rares à avoir tenté l’expérience parlaient d’obstacles infranchissables, d’éboulis et de glaciers impraticables. Et c’est vrai que nous commencions à douter de nos chances de pouvoir passer.
Deux locaux nous accompagnaient, Bruce, un métis habitant le dernier village avant le véritable no man’s land, et un trappeur dénommé Norman car, d’un esprit aventureux, il voulait faire partie de cette équipe qui tentait la traversée.
Une nuit, par -40, en plein blizzard, Norman et moi nous sommes retrouvés par hasard dans une vieille cabane à moitié délabrée. Nous avions la nuit devant nous. Norman commença à me raconter sa vie dans le bush, ces longues années de trappe où il partait avec quelques chiens, une tente, tout seul ou avec sa compagne, une Indienne de Ross River.
Il me raconta ses longues périodes de vie solitaire où il entretenait un dialogue muet avec la nature, sa relation avec les paysages, son amour pour les animaux sauvages qu’il connaissait mieux que quiconque. Il me dit combien il devenait difficile de vivre dans les montagnes, qu’aucun jeune qu’il soit Indien ou Blanc n’y allait plus et que, bientôt, cette race d’homme à laquelle il appartenait allait disparaître, et avec elle un certain savoir-vivre dans la nature, d’une richesse insoupçonnée.
Je lui répondis alors qu’au contraire, ce qu’il portait en lui était un message d’avenir pour un monde qui se cherchait après avoir tout bafoué, après avoir saccagé la nature qui est pourtant comme le disent les Indiens la mère nourricière. Je lui dis qu’au contraire, il était temps qu’il dise tout ce qu’il avait à dire et que moi aussi j’avais envie de donner la parole à un homme qui puisse exprimer en mots et en images tout ce que je ressentais.
L’idée du film était née. Il ne restait plus qu’à réussir le pari insensé consistant à tourner dans des conditions extrêmes d’éloignement, de froid, d’humidité, d’enneigement, un film dans le contexte de la fiction avec tout ce que cela implique de matériel, d’hommes et de moyens. Un pari relevé et réussi par une équipe incroyablement gonflée ! Ce film respire de vérité. La nature vous appelle.
On me demande souvent ce que Norman devient… Il continue de vivre sa vie de trappeur, avec sa compagne… tout simplement !
Je me souviens avec précision du jour où Nicolaï m’a montré sa grande harde.
Un peu auparavant, il m’avait proposé de vivre quelques temps avec sa famille. J’avais accepté avec joie sa proposition, lui disant que c’était un honneur pour moi que de vivre auprès des siens. Nicolaï et moi sommes devenus très rapidement les meilleurs amis du monde. Tout au long du périple jusqu’aux montagnes où les siens nomadisaient, il n’avait eu de cesse de me vanter ces contrées, les meilleures selon lui pour la chasse, la pêche et surtout pour ses rennes. Le paradis !
Je n’ai jamais oublié le regard de Nicolaï quand il a soudain aperçu la grande harde ! Cette harde, il avait passé sa vie avec elle, il l’avait vue des milliers et des milliers de fois mais ses yeux la retrouvaient comme au premier jour.
— Regarde ! Et il n’avait rien ajouté. Devant nous, la masse brune de près de trois mille rennes avançait, poussée par les hommes et leurs chiens : un tonnerre de milliers de sabot, une énorme masse de chair, de cuir, de bois en mouvement dégageant un immense nuage de vapeur blanche, un torrent de muscles qui se mit à couler devant nous, alors que les bois dressés et entremêlés claquaient les uns contre les autres. Et le regard de Nicolaï ! Aussi grand que fut le spectacle de cette harde en mouvement, rien ne valait ce que je voyais dans ces yeux-là. Ils brillaient d’un feu incomparable dont les flammes trahissaient toute la fierté de son peuple. Nicolaï a tourné son visage vers moi et a souri car il a vu dans mes yeux, sans que nous n’ayons besoin de parler, que j’avais compris. Dès lors, mon initiation pouvait commencer. Le roman que j’ai écrit, puis le film, ont pour origine ces moments-là.
Cette fiction a été tournée dans les conditions du réel. Nous avons travaillé avec les vrais nomades éleveurs de rennes, dans leur cadre de vie. J’ai donc sollicité deux clans d’une vingtaine de personnes, avec lesquels j’ai noué des liens d’amitié. Ils sont l’âme de l’histoire. Les quelques comédiens qui sont venus se joindre aux Évènes ont passé un mois à leurs côtés avant le tournage pour se familiariser avec leur mode de vie, apprendre à monter les rennes, à manier le lasso et à adopter leurs postures. Par la force des choses, par -50 °C, ils sont devenus Évènes.
Contrairement à tous les projets que j’ai menés jusqu’ici, ce n’est pas moi qui suis à l’origine de Belle et Sébastien. Au départ, l’idée vient du producteur et de Gaumont. Or, lorsqu’ils se sont interrogés sur un nom de metteur en scène, il se trouve que j’étais leur premier choix.
Rien ne me paraissait insurmontable, ni le tournage en montagne, ni la présence du chien. Le plus difficile, c’était de diriger un enfant car une grande partie du film reposait sur sa capacité à vivre cette aventure de bout en bout. Même si, dès le départ, j’étais confiant, je suis resté prudent parce que je suis conscient qu’à 7 ans et demi, tout peut arriver. La vraie grande surprise a été la faculté de Félix à comprendre ce que j’attendais, à ne jamais sur-jouer, à émettre des propositions de jeu pertinentes et à être constamment dans la finesse. C’est ce qui a donné une énergie formidable à tout le monde sur le plateau. Car au-delà des qualités d’écriture et de mise en scène du film, c’est vraiment Félix qui portait le projet !
Même si je ne suis pas un enfant de la ville, même si je suis né avec des bottes aux pieds et une canne à pêche à la main, il y a de mes souvenirs d’enfance dans l’émerveillement de Paul quand il découvre la nature et ces hommes qui peuplent la Sologne. Ils sont parfois un peu rudes mais on a vite fait de découvrir qu’ils sont généreux. Plus généralement, mes sources d’inspiration sont multiples. Elles viennent du roman que j’ai écrit sur la Sologne, Le Grand Brame, mais aussi de l’œuvre de Maurice Genevoix (Raboliot, La Dernière Harde) ou encore d’Alain Fournier avec son magnifique Grand Meaulnes.
Dans le cinéma, on dit souvent que le plus difficile est de tourner avec des animaux, avec des enfants ou encore en extérieurs. Nous avons cumulé les trois ! Cela peut en repousser certains mais c’est ce qui me passionne. Quand un animal rechigne à faire le mouvement attendu, je ne perds jamais patience. Je cherche juste à trouver le moyen de lui faire faire ce dont nous avons besoin. Travailler avec des dresseurs et des animaux est un défi auquel je suis rompu. Mais c’est avant tout un travail d’équipe. C’est essentiel. J’ai une grande confiance envers les gens qui travaillent avec moi, chef opérateur, premier assistant, chef déco, costumes… J’ai fait beaucoup de films avec eux, nous avons connu des drames et des tournages extrêmes. La confiance que je leur accorde m’a permis de me concentrer sur la direction d’acteurs.
Si ce film peut convaincre les plus jeunes de quitter un peu leurs jeux vidéo pour aller à la pêche, ce sera une bonne chose ! La nature permet la transmission de valeurs qui passaient jadis par l’apprentissage de ces pratiques. Il y avait une sorte de passage de flambeau entre générations qu’on ne connaît plus aujourd’hui. Lorsque nous avons tourné la scène du marché dans ce décor reconstitué en place de village, beaucoup de figurants locaux sont venus me voir en me disant : “Mon dieu, c’était un moment de dialogue, de partage pendant des heures alors qu’aujourd’hui, on va pousser son caddie dans un supermarché.” Je ne suis pas rétrograde pour un sou mais je trouve l’époque actuelle sidérante. Le temps s’est accéléré comme jamais ces 50 dernières années. Je pense qu’il faut désormais réfléchir à une société plus humaine ; remettre certaines valeurs au goût du jour en les modernisant et en les adaptant. Le monde tel qu’il est aujourd’hui n’est plus vivable, ne serait-ce que pour les questions environnementales. Nous consommons plus que ce que la terre produit et nous émettons plus de gaz carbonique que ce que la terre est capable d’absorber. Nous sommes donc en faillite et nous devons changer de cap. Je suis heureux que ces thèmes commencent à interpeler le public. L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE est une fiction qui n’a pas la prétention de changer les choses ou de porter un message. Mais c’est ma façon de susciter un débat.
Le monde des aventuriers est un tout petit monde. Celui des personnes qui essaient de prendre soin de notre planète malade, encore plus ! Un jour, je suis allé voler avec Christian et ses oies naines. Ce vol m’a bouleversé. Il m’a décidé à me lancer dans cette double histoire de roman et de film. Il faut dire qu’avec cette aventure on est dans une situation assez unique : alors que l’homme, généralement, met son intelligence au service de projets nuisibles à l’environnement, cette fois c’est lui qui montre le chemin aux oiseaux, un nouvel itinéraire de migration qui leur fera éviter précisément la route qui a causé leur disparition. On est à l’inverse de tout ce qu’on peut entendre sur le rôle néfaste de l’activité humaine. Et je trouve que c’est un message d’espoir magnifique…
Son premier objectif était d’apprendre aux oies, dès leur plus jeune âge, à accepter le bruit d’un moteur d’ULM. Une sorte d’imprégnation qu’il a pleinement réussie. L’expérience a ensuite consisté à voler avec ces oiseaux, en escadrille, de la Scandinavie jusqu’en Allemagne, pour prouver qu’il était possible de leur apprendre un nouvel itinéraire. Alors que personne n’y croyait, Christian, là aussi, a pleinement gagné son pari. À l’époque, pourtant, il aurait fallu réitérer l’expérience avec beaucoup plus d’oiseaux pour prétendre installer une colonie qui puisse se reproduire et augmenter. Cela n’a pas été possible pour des raisons financières et politiques. Christian s’est heurté à ce que l’Europe a de pire : des administrations empilées les unes sur les autres, incapables de délivrer des autorisations. Mais aujourd’hui, nous sommes décidés à remonter au front. Sauver une espèce en voie de disparition, c’est quelque chose d’énorme. Je le dis souvent : si la tour Eiffel s’écroule demain, ce n’est pas très grave, on peut la reconstruire, tandis qu’une espèce qui disparaît, c’est à jamais… Comme il reste quelques échantillons, on peut y arriver. Et si nous y parvenons, ce sera, je l’espère, le prélude au sauvetage d’autres espèces d’oiseaux migrateurs.
En Sologne, où j’habite, je passe ma vie à regarder les oiseaux. Alors, se retrouver comme ça, d’un coup, à voler avec des oies, tellement près d’elles qu’on peut les caresser – ce que j’ai fait –, c’est une émotion unique. On ressent beaucoup de choses quant à leur façon de voler, de planer, de tourner, de monter, de descendre. À cinquante centimètres de leurs ailes, vous détaillez tous leurs mouvements, un ballet d’une incroyable subtilité.
C’est plus de 420 millions d’oiseaux qui ont disparu du ciel européen en moins de trente ans. On va se réveiller un jour dans un monde où, au printemps, il n’y aura plus un oiseau qui gazouillera dehors. Il n’y a pas si longtemps, quand on traversait la France au mois de juin, on avait les vitres de la voiture maculées d’insectes. Aujourd’hui, vous pouvez rouler pendant des heures sans avoir à nettoyer votre pare-brise. Et cela suffit à expliquer pourquoi les oiseaux ont disparu. À cause de tous ces insecticides, ces pesticides, ces haies qui n’existent plus…
Oui, déjà parce que dès qu’on tourne à droite, elles vous suivent, dès que vous montez, elles montent, dès que vous descendez, elles descendent… Ce qui est fascinant, c’est de voir à quel point les oiseaux aiment voler. On ressent aussi cela quand on conduit les chiens de traîneaux. C’est moins le cas, par exemple, lorsqu’on monte à cheval ou sur un traîneau à rennes. Les chiens aiment traverser des grandes étendues blanches comme les oiseaux aiment tracer dans le ciel. Partager ces moments est magique…
J’ai voulu raconter quelque chose que je connais bien pour l’avoir éprouvé toute ma vie : l’histoire d’un homme tellement passionné qu’il en oublie ce qui fait les grandes valeurs de la vie, la famille, les enfants… Lorsque les passions sont aussi fortes, aussi extrêmes, on fait des sacrifices. Mais au-delà des sacrifices, on peut perdre des choses essentielles : de l’amitié, de l’amour. Ce revers de la passion est un sujet qui m’a fait beaucoup réfléchir, moi qui passe tant de temps dans le Grand Nord, loin des miens. Dans le roman, la famille de Christian n’a pas résisté à sa propre passion. Et puis elle va progressivement se recomposer, son fils et sa femme finissant par faire preuve de compréhension et même par adhérer à ce projet fou – qui, précisément, a causé leur séparation. Ces retrouvailles inattendues me touchent profondément.
C’est un fil rouge, oui. En l’espace de trois décennies, le temps s’est tellement accéléré, les progrès ont été tellement considérables qu’une coupure s’est produite, non seulement entre l’homme et la nature mais d’une génération à l’autre. Jadis, lorsqu’un grand-père emmenait son petit-fils à la pêche, il ne cherchait pas tant à lui enseigner l’art de pêcher qu’à vivre un moment privilégié à ses côtés. Un moment de transmission, d’échange, de complicité. À l’heure d’Internet, des réseaux sociaux et des consoles de jeux, ces moments sont devenus beaucoup trop rares. Presque impossibles. Dans le roman, Thomas, le fils de Christian, est un adolescent enfermé dans son monde virtuel. Rivé à son ordinateur, il en oublie d’ouvrir les yeux sur la beauté du monde qui l’entoure. Et puis le miracle se produit. Il se laisse fasciner par les oies. Ce rêve que son père va poursuivre toute sa vie, sans jamais l’atteindre, c’est lui qui va le réaliser…
Je n’ai pas la prétention de changer le monde avec un roman ou avec un film. Mais c’est un peu l’histoire du colibri, chacun doit faire ce qu’il peut… Parallèlement à cette fiction, nous montons une campagne avec la Ligue pour la protection des oiseaux, le conservatoire du littoral et le Muséum d’histoire naturelle. Nous y associons l’Éducation nationale pour lancer auprès des jeunes à la fois des messages d’alerte et d’espoir. C’est très important aujourd’hui de dire aux enfants que tout est encore possible, qu’on peut encore sauver des espèces, protéger la biodiversité. À ce titre, je trouve bouleversant de voir tous ces jeunes qui se lèvent et manifestent partout dans le monde. On n’a pas le droit de leur laisser en héritage ce monde où ils ne pourront pas vivre comme nous vivons nous-mêmes. J’espère de tout mon cœur que ce mouvement s’amplifiera. Alors que les gouvernements de tous les pays pollueurs, responsables du réchauffement climatique, se fichent un peu de tout ça, cette génération qui se lève nous interpelle, nous réveille, nous provoque. Qu’elle nous menace d’un procès s’il le faut ! Car maintenant que les simulations sont faites sur l’avenir, il serait criminel de continuer sur cette route-là. Intolérable, irrespectueux et criminel vis-à-vis des générations futures.
C’est pour moi essentiel. Je travaille main dans la main avec le ministère de l’Éducation nationale depuis des années. Pour justement, à travers des films, des livres, des programmes d’éducation à l’environnement, partager toutes ces préoccupations et transmettre cette envie de communiquer et d’agir.
Je me suis souvenu de ce feuilleton télévisé inspiré de l’oeuvre de Cécile Aubry qui a marqué toute une génération, celle des années 1960 et du début des années 1970. L’histoire de cet adorable petit poney et du petit garçon, Mehdi, qui l’aimait tant… J’ai revisionné la série et je me suis dit qu’elle traduisait à merveille cette émotion unique que l’on peut ressentir avec un animal. Cela va parfois bien au-delà de la complicité ! C’est souvent une véritable histoire d’amitié, on pourrait même dire d’amour, basée sur une confiance réciproque, où chacun donne à l’autre ce qu’il a de meilleur et où le respect et la bienveillance sont la règle. C’est quelque chose de merveilleux que je voulais absolument partager avec le public. Poly était l’occasion unique de le faire en s’adressant à toutes les générations. Mais ce roman est aussi un cri du cœur : un plaidoyer pour que les animaux enfermés indignement ne le soient plus, notamment dans les cirques où les conditions de vie et de dressage sont encore, par endroits, inacceptables.
Je ne suis pas « amoureux » des chevaux comme je peux l’être des chiens. Mais j’ai profondément aimé un quarter horse que j’avais baptisé « Punkie ». Ce cheval, je l’ai acheté dans le Wyoming pour traverser pendant un an les montagnes Rocheuses. Ensemble 24 heures sur 24, des mois durant, nous avons tout vécu : de longues traversées de rivières à la nage, le franchissement de cols enneigés à plus de 4 000 mètres d’altitude, d’énormes tempêtes et d’incroyables orages, des attaques de grizzlys, des rencontres avec des lions des montagnes… Lorsque nous ne chevauchions pas, Punkie restait libre et allait où bon lui semblait brouter l’herbe riche des alpages. Nul besoin de l’attacher pour le seller ou le desseller, Punkie acceptait tout de moi. Mais surtout il adorait nos chevauchées, les réclamait et nous en avons tous deux bien profité, sur plus de 4 000 kilomètres ! J’ai souvent pensé à lui, à cette complicité qui était la nôtre, pour recréer celle qui devait exister entre Cécile, notre héroïne, et Poly. Punkie fut « mon Poly » à moi.
Pour tous les baby-boomers, c’est une décennie rêvée. À la télévision, tout était encore en noir et blanc, mais dans la vraie vie, c’était un festival de couleurs : les voitures, les robes, les objets… Mon film, d’ailleurs, jouera sur la poésie, la spontanéité et la gaieté de ces années multicolores. Il montrera ces petits villages du Gard ou des Cévennes aux maisons anciennes, tous habillés de fleurs où les papillons font la fête. Que nous est-il donc arrivé de si grave en un demi-siècle pour que nous devenions aussi tristes, à l’image de nos voitures uniformisées, coincées entre le noir et le blanc, grises, en demi-teinte, comme un ciel annonçant la dépression ? Les années 1960, ce sont les lendemains qui chantent avec les années yéyé, la mode des minijupes et des blousons noirs, le transistor nomade qui permet d’écouter « Salut les copains » sur Europe 1, les parties de flipper dans les cafés au son du juke-box. Une période haute en couleur, rythmée par les notes du twist et du rock’n’roll…
C’est une autre dimension du livre. Avec Poly, j’ai voulu mettre en lumière la formidable intelligence de l’enfance face à la condition animale. Les enfants perçoivent très bien, souvent mieux que les adultes, ce que ressentent les animaux. Ils agissent, dès qu’ils le peuvent, pour leur rendre la vie plus douce. Leur lucidité, leur révolte face à la cruauté, à l’indifférence, à l’injustice, nous obligent, nous les adultes, à reconsidérer notre rapport aux animaux, de la même manière que les adolescents nous interpellent aujourd’hui partout dans le monde sur la dégradation de la planète. Il faut les entendre…
Il faut que nous réagissions, entre autres, face à la plus grande extinction d’animaux sauvages causée par l’homme jamais enregistrée.
Depuis plus de vingt ans, mes livres, mes films, mes prises de parole expriment cette inquiétude grandissante. Avec beaucoup d’autres, dont de nombreux scientifiques, nous alertons sans cesse. Malgré cela, rien ne change, ou si peu. Nous colmatons tant bien que mal les fuites d’un bateau irréparable, lancé à pleine vitesse, au lieu de changer de bateau. Car c’est le système dans sa globalité qu’il faut revoir, repenser. Et pourtant, pas une semaine sans que la nature nous avertisse, crie au secours, se rebiffe, tente par tous les moyens qui sont les siens de nous faire entendre raison. Mais rien n’y fait. Nous continuons à danser sur le bateau, comme le faisaient les passagers du Titanic à quelques minutes de la catastrophe annoncée. Et pourtant, nous aurions tant à gagner à ralentir, à consommer avec plus de raison, à partager davantage, à aimer notre mère la Terre qui nous le rendrait au centuple. Ce que nous vivons actuellement avec cette terrible pandémie montre notre immense fragilité. Elle doit nous inciter à plus d’humilité. Et à inventer un autre monde.
L’Odyssée Sauvage
Ce projet qui a demandé 2 ans de préparation, nous a transportés, mes chiens et moi, dans un périple rendu difficile par des démarches administratives compliquées et une météo capricieuse, conséquence certaine du dérèglement climatique.
Mais quelle récompense au final d’aller à la rencontre des trappeurs, des pêcheurs et des nomades, qui continuent de vivre en parfaite harmonie avec la nature.
Quant à mes chiens, ils m’ont bluffé, ce sont eux les vraies stars de cette expédition. Et quel bonheur de finir cette expédition accompagné de mon fils Côme, l’apprenti musher !
Avec mes chiens, je voyage de jour comme de nuit. Dans le faisceau de la lampe frontale, mes chiens et moi suivons la piste que la petite équipe chargée de la logistique a identifié avec les trappeurs, chasseurs, nomades… Comme leurs ancêtres les loups, ils avalent des dizaines de kilomètres d’une seule traite. Quand la piste est bonne, ils peuvent courir jusqu’à 150 km par cycle de 24 heures avec une moyenne de 15 km/heure. Les « runs » d’environ 6 heures, sont entrecoupés de petites pauses : c’est bon pour le moral des troupes! J’en profite pour encourager, caresser et parler à chacun de mes chiens, vérifiant au passage l’état de leurs pattes, mais aussi pour « snacker » : thé ou café, quelques graines et fruits secs pour le bonhomme et des barres énergétiques pour les chiens.
Je m’arrête plus longuement entre les étapes. Les gestes sont rodés : il faut faire boire, nourrir, soigner les chiens puis installer un campement et se reposer en un minimum de temps. Je me nourris avec des portions lyophilisées : une soupe, un plat chaud, plus quelques extras et parfois des cadeaux qui me sont offerts dans les villages traversés. Un timing qui, sur le long cours, influe autant sur la condition physique des chiens que sur la mienne.
La surface de progression idéale en traîneau, c’est une neige suffisamment tassée par le vent pour former une croûte sur laquelle les patins glissent et les chiens courent sans s’enfoncer. Pas besoin de faire de pistes! C’est le cas dans l’Arctique où le paysage désertique n’offre aucun obstacle au vent mais aussi en Mongolie, que j’ai traversée pour l’Odyssée Sauvage.
Pour parcourir les 6000 km que représente l’Odyssée Sauvage, j’ai utilisé la plupart du temps des pistes existantes. Dans le Grand Nord, les pistes forestières et les rivières gelées sont les principaux axes reliant les villages entre eux, parfois distants de centaines de kilomètres. Mais la densité démographique est très faible dans ces régions reculées, les pistes peu entretenues. Ces routes de glace sont donc éphémères et plus ou moins praticables d’une année à l’autre.
L’entraide et la solidarité sont des valeurs inestimables dans le Grand Nord ! Des nomades, fermiers et trappeurs proposent naturellement leur aide pour ouvrir la voie, avec Alain et Fabien, mes compagnons chargés de valider les pistes ou de les créer plusieurs jours avant mon passage.
Parfois, la couche de neige peut être très importante ! J’ai aussi effectué en raquettes plusieurs milliers de kilomètres dans la neige profonde pour tracer une piste devant le traîneau.
La taïga est un milieu vivant dans lequel j’ai le plus grand plaisir à évoluer. Je suis un homme de la forêt, j’ai besoin des arbres, et je préfère donc la taïga à la toundra, « la terre sans arbres » et aux vastes étendues de glace comme la banquise. En revanche, j’ai été totalement subjugué par la beauté des grandes plaines mongoles, loin de leur image de steppes désertiques. Les peuples qui animent le paysage avec leurs troupeaux et leurs yourtes colorées rendent cette région magique et comme suspendue hors du temps. J’y retournerai avec un immense plaisir pour passer davantage de temps avec ces gens qui nous ont accueillis avec une grande gentillesse. Je me sens particulièrement proche des peuples qui se battent pour mener une vie conciliant l’élevage actuel et leurs traditions nomades. Ils ont une sagesse et une philosophie de la vie qui donnent à réfléchir…
Un point commun : les habitants rencontrés sont d’une extrême gentillesse et ils réservent un accueil très enthousiaste à la meute de chiens !
En Sibérie, les Russes sont très souvent admiratifs du parcours de l’expédition et impressionnés par ces aventuriers qui vivent dehors ! En grande majorité, ils ont plusieurs métiers car les salaires sont très bas. Un pêcheur rencontré était également chauffeur et agent de sécurité civile !
En Chine, j’ai rencontré de nombreux pêcheurs et éleveurs : de sacrés bosseurs, très fiers de leur pays. Les stars de l’expédition ? Les chiens et… les bottes Sorel ! J’ai été impressionné par les villes très modernes et un peu « kitchs » qui poussent en pleine pampa !
En Mongolie, les habitants rencontrés appréciaient que je partage un bout de leur vie et prenne quelques photos après un bon thé au lait (ou un verre de vodka !). Nombre de Mongols ont partagé un bout de chemin avec moi en cavalant aux côtés des chiens. C’est la découverte et le coup de cœur de cette expédition !
Ma petite équipe était composée de Pierre et Arnaud qui s’occupent de la logistique (passage des frontières, alimentation des chiens, changements d’itinéraire…) et de Fabien et Alain qui préparent la piste en amont pour notre attelage. Nous nous retrouvons tous dans certains villages que je traverse afin de préparer les prochaines étapes !
Mon ami Dominique Grandjean, spécialiste des chiens de traîneau, m’a accompagné à distance et a envoyé une de ses collaboratrices pour le suivi vétérinaire à l’arrivée en Chine, comme demandé par les autorités.
Mes équipiers Pierre et Arnaud qui s’occupent de la logistique étaient accompagnés de traducteurs afin de faciliter les échanges avec les habitants ! Fabien et Alain, les pisteurs, ont parfois été aidés par les habitants qui, à cheval, en motoneige, à ski… furent leurs guides d’une heure ou d’un jour.
Plus que jamais, je suis un fervent admirateur de la nature et très conscient de l’urgence qu’il y a à agir et réagir pour minimiser les effets du dérèglement climatique, à tous les niveaux. Plus qu’ailleurs, on se rend compte dans les pays du Nord des conséquences qu’impliquent les interactions de tous les phénomènes qui résultent de ce dérèglement. Des hivers tardifs, un froid intense mais très instable ont incontestablement des répercussions sur la vie des peuples (pêcheurs, chasseurs, éleveurs) les premiers touchés par les variations du climat dans leur activité. Mais le réchauffement n’est pas seul à l’origine de la dégradation de l’environnement : la déforestation et la modification de l’environnement à grande échelle sont les pires fléaux. Ils sont à redouter dans les années à venir avec le potentiel que représente l’exploitation des énergies fossiles, minerais et terres rares dans le sous-sol mongol et dans l’arctique dont l’accès sera facilité par la fonte des glaces et l’ouverture de nouvelles routes…
En Sibérie, une dame rencontrée dans un petit village m’assurait avoir vu un tigre la veille… je n’ai pas eu cette chance ! Quant aux autres animaux, oui bien sûr j’ai vu furtivement des loups, des élans, beaucoup de chevreuils, des sangliers et des troupeaux d’antilopes en Mongolie. Mais ces territoires sont tellement immenses que la densité est plus faible et les animaux un peu plus difficiles à apercevoir qu’au Canada. Chaque rencontre en est d’autant plus forte ! Quant aux chiens, je n’ai eu aucun problème de voisinage à déplorer sur le parcours. C’est Fabien qui, lors de l’entraînement, avait eu quelques soucis en début d’hiver avec un ours qui s’était attaqué à ses provisions de nourriture et réserves de matériel
Je ne fuis pas du tout les hommes quand je pars dans ces grandes étendues sauvages du Grand Nord, c’est au contraire l’un de mes grands regrets : ne pas en croiser davantage… J’entends des hommes qui vivent dans la nature par choix parce qu’ils n’en ont pas encore été délogés par les compagnies minières, les entreprises forestières… je dis souvent que dans le Grand Nord, la seule espèce qui soit véritablement en voie de disparition, c’est l’homme ! C’est une réalité dont on n’a pas vraiment conscience et par conséquent, les animaux y sont davantage protégés que l’être humain. Je pense au contraire que l’homme a sa place dans la nature et que si en de trop nombreux endroits, il ne la connaît plus, ne la comprend plus et donc ne la respecte plus, c’est en se reconnectant justement à son environnement naturel qu’il pourra agir en prenant la mesure des conséquences de son action sur le milieu.
Quand je voyage avec mes chiens, je ne me sens jamais seul au milieu de nulle part ! Ils sont au contraire très vivants et leur joie de dévorer la piste, réceptifs à tout ce qui les entoure, est communicative. En même temps, cette progression relativement lente si on la compare au rythme effréné de nos sociétés est une respiration dans ma vie. Une pause qui me régénère et, c’est vrai, dont j’éprouve le besoin régulièrement après quelques années passées sans long projet dans ces pays. C’est une passion pour ces régions qui ne s’assouvit pas avec l’âge car il reste toujours un ailleurs qui m’attire… et l’envie de partir avec les chiens.
Difficile de répondre définitivement à ce genre de questions ! J’ai un sentiment général de grande satisfaction. Globalement, les chiens ont été extraordinaires. Les paysages furent tellement différents sur 6000 kilomètres que je ne peux pas dire quels sont les plus beaux car cela dépend tellement des conditions dans lesquelles il m’a été donné de les parcourir.
J’ai eu une grande déception par rapport au fleuve Amour que je n’ai pas pu découvrir comme je le souhaitais et dont j’ai dû m’éloigner pour faire un détour. Impraticable dans des endroits qui promettaient d’être magiques… Les 5 jours passés bloqués à la frontière russo-chinoise sont certainement le plus mauvais souvenir de ce voyage ! La nature m’a aussi joué quelques mauvais tours, se révélant parfois très difficile d’accès ! Mais elle est toujours aussi magnifique et elle motive chez moi l’envie de voyager avec mes chiens à sa découverte.
Jamais le découragement n’a atteint le point de non-retour ou plutôt celui de renoncement ! Je n’étais pas seul dans l’aventure, j’avais embarqué avec moi une équipe qui avait beaucoup donné pour mettre ce projet sur pied. Tous ensemble, nous avions envie d’aller au bout !
Les retours après les premiers longs voyages ont été un peu difficiles à gérer. Il faut se réinsérer dans une vie qui peut paraître banale au regard de tout ce que l’on a vécu d’inhabituel et d’excitant. Mais c’est comme tout, on s’habitue, on apprivoise cette période de transition parfois inconfortable. J’ai la chance d’avoir une famille et des enfants donc le décalage du retour est devenu inexistant, comblé par ma joie de les retrouver. Pour finir, je dirais que j’aime les contrastes : ces deux vies sont à l’opposé et j’ai appris à profiter pleinement des bons côtés de l’une et de l’autre. Quant au confort, on l’apprécie pleinement en rentrant et c’est bon de redonner de la valeur à des petites choses du quotidien, ce qui manque à beaucoup de gens je pense !